En hommage à Valérie Dayre,
auteur de la série Gaspard,
vue de nouveau 20 ans plus tard
avec une émotion sincère.
Stéphane était assis confortablement dans ses larmes, à l’abri de tous, les genoux repliés sur lui-même. Lové.
— Je peux m’asseoir à côté de toi ?
Maya, sa cousine, son ainée de 2 ans, venait de se poster devant lui. Il ne répondit pas, prostré dans ses pensées sombres. Il la regarda hébété. Pourquoi venait-elle l’emmerder ? Il n’avait rien demandé. Pas plus à elle qu’à une autre en tout cas. Pas envie d’être poli. Presque qu’envie de lui aboyer : « Y a pas assez de place dans ce jardin pour que tu viennes te coller à moi ? » mais il se retint. Il l’aimait bien. Assez ce jour-là pour garder ses pensées pour lui.
— J’aime bien venir me cacher ici sous le saule pleureur. Le balancement des guirlandes de branches légères me berce. Le bruissement du vent sur les feuilles est comme une caresse. Passer mes mains dans les feuilles est si doux. J’adore me sentir naviguer dans cet océan de verdure. Seule.
Ce dernier mot donna envie à Stéphane de l’envoyer paitre… mais elle parlait bien de ce refuge. De leur refuge. Elle avait raison au fond. Il la laissa continuer.
— J’aime imaginer au-dehors un tout autre monde qui se dessine lentement et prend forme petit à petit. Il vient à moi. Il entre, silencieux. Il soulève les branches et m’emmène à lui.
Maya se révèle parfois être une douce rêveuse. C’était un des traits de sa personnalité. A bien y réfléchir, c’était une de ses douces qualités. Il était rare qu’elle partage ses rêves. Pourtant ceux-ci étaient agréables et recevoir ses histoires était comme avoir été choisi pour partager un secret. Stéphane se surprit à le penser. Ses rêves lui faisaient du bien. Il l’écouta.
— Tu les entends aussi ?
— Quoi ? Les autres là-bas ?
Stéphane repensa à ses parents attablés sur la terrasse, refaisant le monde alors que le sien s’effritait… Son visage se rembrunit alors. Il entendait des éclats de rire. Il voyait ses parents éméchés, le regard aviné, riant de propos stupides et vulgaires qui n’allaient pas changer le monde. Lui, il avait dessoulé depuis un moment et ne se rappelait même plus pourquoi il avait en lui cet étrange sentiment d’avoir trop bu. Qu’avait-il tant de mal à digérer ? Il l’avait oublié. Il y avait bien quelques explications, du concret, son amie partie, oui, mais il sentait bien que le mal était plus profond. Savoir ce qui l’avait blessé n’avait rien résolu.
Maya poursuivit son élan :
— Je parle de la fête… Oui, le banquet. On célèbre un dieu ici tout de même ! Mais où as-tu la tête ? Les serviteurs non plus ne savent plus où donner de la tête. Ils s’empressent. Ils s’empêtrent. Ils veulent que tout soit parfait. Le cuisinier va nous faire une apoplexie à se donner tant de mal pour plaire au maitre. Le seigneur est pourtant heureux. Regarde comme ses yeux brillent de fierté. Il se réjouit d’avoir réuni autour de lui tous les clans de la contrée. Il savoure son exploit. Ce sera son offrande en ce jour. La paix. Avoir réuni ces seigneurs belliqueux, farouches, qui ne s’entendent pas. Ils l’écoutent lui mais une fois de retour chez eux, ils oublient leur promesse d’allégeance et se parjurent, faisant fi de leur fidélité à leur roi dont ils respectent pourtant la sagesse.
Aujourd’hui, il les a tous réunis. Et ils rient de bon cœur devant ce festin. Ils ripaillent sans plus se souvenir que leur voisin leur a fait la guerre jadis. C’est si loin déjà. Ils boivent, ils sont un peu ivres mêmes. Ils se pardonnent. Et ils admirent leurs femmes si belles avec désir. Le roi a bien fait les choses. La fête est réussie. Ils sont heureux. Ils l’en remercient.
Viens, ne tardons pas, rejoignons le banquet ! Lève-toi, il ne manque plus que toi en cet instant.
Alors Stéphane attrapa la main douce et chaude de Maya. Il se releva et se dirigea vers la table des seigneurs, se joignant aux vivats des convives qui célébraient leur dieu.
Belle leçon d’humilité et de convivialité dans ce récit : j’en ressens une touche quasiment mystique ou approximativement biblique… Ce Beau personnage de la sagesse incarnée avec cette maturité pugnace chez la petite Maya d’aller en quête de la “brebis égarée” dans son arrogante solitude, de se recueillir dans la contemplation partagée et admirée du refuge commun … Et avec quelle fine perspicacité de parvenir à convaincre Le Solitaire de ne pas s’abandonner éternellement à sa tristesse boudeuse ,.. Cf. L’Ecclésiaste? “il y a un temps pour pleurer et il y a un temps pour se réjouir”; et en l’occurrence dans ton récit, celui de la Réjouissance……