(Temps de lecture: 7 mn)
Étonnant comment on peut passer de la gloire de la parade amicale à la déception cuisante pour un même individu dès lors qu’il a passé sa date de péremption…
Comme d’hab’, du contrat, je n’avais lu que les gros caractères. Je vous briefe : grosse culture littéraire, de l’esprit, une conversation passionnée et généreuse, des goûts qui recoupaient les miens, en résumé : un mec intéressant. Je pousserais jusqu’à charismatique dans l’enthousiasme de la découverte. J’ai signé. En tout bien tout honneur j’entends. Cela peut paraître peu -je parle de ses qualités- mais pour moi l’essentiel était checké. « Maxwell qualité filtre, ce n’est pas la peine d’en ajouter. » Sauf qu’il y avait aussi les petites lignes qu’on lit jamais tout en bas de la feuille, du genre fallait pas le nourrir après minuit, jamais l’emmener à la piscine…
Alors ce soir, j’ai envie de balancer :
― Même si tu n’es pas mon genre de femmes, j’envie profondément l’homme qui partagera un jour ta vie.
― …
― C’était un compliment.
Gougnafier ou maladroit ? Je n’étais pas d’humeur à me fâcher à cette période-là sur le fait accessoire que je ne lui plaisais pas en plus du fait que je n’avais toujours pas rencontré l’heureux élu, merci, alors j’ai laissé le doute arrondir les angles avec clémence et ai ramené vite fait mon copain à son humour coutumier, tellement plus sympa à partager.
Les piques de récidive m’ont fait tiquer.
― Wouah, comme tu es jolie aujourd’hui !
Des mois d’espoir d’être une femme désirable dégommé d’un unique adverbe qui te signifie que le reste de l’année tu n’as aucune valeur esthétique, avec l’interjection en coup de massue pour confirmer que le phénomène constaté tient de l’exploit. Ou mon ami avait la délicatesse d’un éléphant dans une boutique de porcelaine, ou bien il était con. J’ai préféré me dire que je passais la plupart de mon temps libre avec un homme maladroit en amour, scénar plus valorisant. Et puis, si j’avais été un mannequin, ça se saurait.
― J’aimerais rencontrer une femme aussi douce que toi…
On achève bien les chevaux ! Il m’a sorti ça, tout rêveur, comme si l’aveu était censé m’attendrir. Je sais que je l’ai chiffonné en me figeant comme du ciment en train de prendre. Chacun ses problèmes, man ! Je me gère d’abord, si tu le permets. Il n’envisageait pas une seconde que la femme en question pût être moi et moi, je devais l’encourager dans sa recherche de dulcinée !? Pas que je veuille me placer en urgence mais de là à ce que le fait de mon manque d’attractivité soit entendu comme une évidence me griffait un chouia le derme et l’épiderme jusqu’aux tripes.
Puis j’ai pardonné. Je suis comme ça. J’ai mis en sourdine mon manque de confiance en moi et ai pris les compliments bruts de décoffrage tels qu’ils se présentaient. La vie est courte.
J’en viens du coup à la partie sympa de l’histoire. Quelques mois auparavant, je faisais sa rencontre à l’anniv’ du petit ami d’une des miennes, d’amies, et le lendemain soir, le petit nouveau d’1,90m au jugé me racontait sa vie au téléphone. Une fois par semaine. Ses passions, ses lectures, le dernier film qu’il venait de voir au ciné, ce qu’il s’était fait à bouffer, l’album qu’il venait de se charger, la bêtise crasse de ses voisins, les emmerdes au boulot. Il était temps qu’on sorte sinon il allait bientôt me parler aussi de ses courses au Leclerc ou de sa corvée de linge et je ne tenais pas vraiment à savoir s’il repassait ses slips ou bien qu’il me révèle qu’il préférait en fait porter des caleçons.
Nous sommes sortis donc. Le soir, le jour, les week ends, en semaine, souvent. Il me faisait rire, j’en avais les zygomatiques endoloris. J’étais légère, portée par son enthousiasme et sa curiosité. Sa nouveauté toute fraîche me galvanisait comme un rayon de soleil enrichi en dopamine. Clairement, il gagnait à être connu ce type ! Apparemment, je lui paraissais fréquentable également. Je l’ai laissé m’approcher gentiment tandis que je relevais les petits signes trahissant son affection ou peut-être plutôt les traquais. Vrais ou imaginaires, les sentir me grisait.
Emportée par cet élan, je nous ai découvert plein de points communs, bien plus que je ne l’aurais jamais pensé à froid. Le copain tenait la route alors que je m’attendais à ce qu’il se dégonfle comme un soufflé qui refroidit. Il semblait plus fiable que les autres, plus sensible. Solide. C’était le copain dont tout le monde rêve en fait. Attentionné, intelligent, plein d’humour… Je crois que le mot le plus adéquat pour résumer son charme était « disponible » même si je n’avais aucune vue sur lui. J’avais envie qu’il soit différent des autres, pas un postulant.
Je l’ai invité au bout de quelques mois d’essai à venir chez mes amis. Je voulais qu’ils sachent de qui je parlais tout le temps et qu’ils me le jaugent. J’essayais de ne pas trop me laisser miner par l’idée qu’il puisse être attiré par une de mes amies, j’ai l’ego susceptible au fond, mais il n’a pas trouvé son bonheur parmi mes copines encore ou de nouveau célibataires. J’en ai été soulagée car ça m’accordait le caprice de l’avoir tout à moi.
Dans l’ordre des choses, nous nous sommes bientôt invités chez l’un ou l’autre, sans rien nous promettre. La liberté ne se brade pas. Mais quand tu invites un copain célibataire seule chez toi, il y a une proposition latente de le faire entrer dans ton lit. Sans trop m’avancer, je crois que la pensée de ce qui ne se ferait pas nous a tous deux émoustillés. Un peu beaucoup. Enfin, je suppose. Je ne lui ai évidemment pas demandé son point de vue personnel sur la question.
Un jour, il s’est arrêté net dans la discussion et a eu un de ces drôles de regard droit dans les yeux qui peut tout et rien dire. Je n’ai jamais su si c’était parce qu’il a eu peur de m’embrasser ou parce qu’il a eu l’impression désagréable que j’attendais qu’il le fasse. Ou alors qu’il avait envie que je me jette à l’eau. Ce qui était sûr, c’était qu’il avait un truc à me dire ou à faire et ça ne sortait pas. C’est resté comme ça, en suspens. J’aurais donné cher pour être dans sa tête et tout savoir. Pour moi cependant, qui avais morflé plus que ma dose en amour, que la situation reste en l’état me rassurait. Pleine de promesses mais sans implication concrète. Le troupeau d’anges avait fini sa transhumance, je suis revenue à la distanciation amicale en enchaînant la conversation comme si je n’avais rien repéré.
Il était beau mon ami mais pas mon type, ce qui aidait grandement à notre statu quo. Cela ne se commande pas l’alchimie, sobre du moins. Comme je ne bois pas… J’avais néanmoins la conviction qu’il était un amant merveilleux. Plaisant, passionné… J’étais cuite s’il s’y mettait mais je n’étais pas dans le « mood for love » alors j’ai instinctivement esquivé tout ce qui pouvait conduire à plus d’intimité. Si on se disait à peu près tout entre nous, dans le langage corporel, c’était chacun chez soi.
Puis le glas. Brutal. Je n’ai hélas pas le pouvoir de l’effacer. De petites phrases en petites phrases de la part d’un copain à une copine qui ne l’inspirait pas et réciproquement, il m’a un jour saisie de la tête aux pieds. Il devait rendre son appart à son proprio à la fin de l’année et il m’a demandé si j’accepterais de prendre une location en cohabitation avec lui.
― Avec toi, ce ne serait pas pareil, a-t-il précisé en voyant ma tête.
J’ai eu une sale réaction, j’avoue. J’ai dit que je n’étais pas amoureuse, comme si ça pouvait empêcher ce projet. Pourtant, mon cœur trouvait sa demande magnifique et j’en étais émue aux larmes. Mes émotions m’échappaient, je les ai cachées, ce n’était peut-être pas la meilleure idée mais c’est celle qui m’est venue sur l’instant :
― C’est quoi ce plan ? que je lui ai répondu.
― …
― Et tu feras comment si tu rencontres quelqu’un ? Je ne compte pas finir en recluse non plus. J’ai besoin d’avoir mon espace vital, tu sais. Et puis…
― … une maison alors ?
Tout allait de soi pour lui. Il était heureux avec moi. Il voulait vivre près de moi. Dans son regard, j’entendais que je compliquais en me posant des questions qui n’avaient pas lieu d’être. Il ne s’est pas défendu, il a juste dit que cette idée lui avait semblé belle, voilà tout, et rappelé que je n’étais pas obligée d’accepter sa proposition.
J’ai dit oui. Avec le sentiment de sceller une alliance qui serait certainement difficile à comprendre pour les autres. J’ai dit oui, en me disant que ce serait génial. J’ai dit oui parce que vivre ensemble alliait la légèreté à la force. J’ai dit oui à la poésie contenue dans cet acte qui avait su lire en mes désirs enfouis. Il y avait du sacré dans sa demande. J’ai dit oui posée sur un nuage immaculé flottant au beau milieu des cieux.
J’ai longtemps eu la gueule de bois après l’euphorie de cette période magique, certainement la plus lumineuse qu’il m’a été donné de vivre en ce monde mais, au final, nous n’avons pas emménagé ensemble. Je suis partie la première et l’ai laissé face au silence de la solitude. J’ai attendu qu’il puisse en revenir parce que j’aime sa présence et parce j’aime veiller sur lui. Je sais qu’il vit aujourd’hui heureux auprès d’une femme douce et cette pensée m’apaise là où je continue d’être.
Bizarre, j’ai commencé mon histoire puis les personnages ont détourné la suite. OK, je la garde!
C’est drôle et enlevé. C’est souvent que dans tes récits les illusions amoureuses à partir d’une relation d’amitié amènent vers une chute…. On se demande si le gars est motivé ou pas….. Et par quoi-qui? Et si elle se sacrifie – ou pas, amoureuse ou pas, en ne voulant pas lui forcer la main? “Une femme douce”, formule qui revient au moins deux fois, c’est le titre d’une nouvelle de Dostoïevski que j’ai lue il y a longtemps et oubliée. Mais je crois que derrière la douceur, on a affaire à une grande violence tyrannique, dévoratrice. Est-ce une référence?
Il est riche ton commentaire! Il me bouscule un peu aussi mais rares sont ceux qui osent entrer dans le vif sur un blog et j’apprécie que tu ne sois pas formatée à l’édulcorant de bon aloi. Bon, je n’irais pas exposer mes tripes à l’air non plus, hein?
Tu sais, j’ai écrit ça le lendemain que nous nous sommes vues, inspirée par notre discussion sur la dépendance affective et ses travers. J’ai laissé décanter avant de le publier.
Si l’image d’une femme douce revient, c’est pour entériner le fait que l’homme a trouvé ce qu’il recherchait dans sa vie en rencontrant son idéal féminin. Est-ce seulement son discours, je veux dire une façade officielle adressée à celle qui est partie? Peut-être… (Tu parles de tyrannie et je ne peux m’empêcher de penser en réaction que le pire tyran qui soit au quotidien est avant tout soi-même…) Maintenant, s’il y croit et est heureux, ça n’a pas d’importance. J’en parle comme s’il existait car les personnages ont pris vie entre mes mains pendant que j’écrivais cette nouvelle. J’ai eu le sentiment qu’ils s’emparaient de la fin.
Il n’y a pas de référence aussi directe à Dostoïevski sinon que le titre est imprimé dans nos consciences littéraires et participe ainsi à une certaine “prosodie”.
La narratrice ne se sacrifie pas, bien au contraire! Pour moi, elle est d’une très grande intégrité. Elle n’appartient qu’à elle-même, quel que soit ce qu’on lui offre pour la détourner de sa nature “sauvage”. Et elle ne laissera pas quelqu’un dépendre d’elle malgré ce que ça implique.
Merci pour cet éclairage. Oui, entre les apparences et le fond de la personne… choisir de ne pas dépendre ni de faire dépendre l’autre dans la relation est un acte de grand courage et liberté, en effet….