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La chrysalide s’entrouvre. Louise l’humaine est maintenant un papillon. La nature et elle ne font qu’un. Sa mue a été particulièrement laborieuse cependant elle s’achève sur un univers d’une immense légèreté, empli de parfums capiteux, un univers aérien baigné de lumière, grisé de vie, un univers chaud qui invite à la langueur.
L’immensité du ciel s’ouvre à elle aujourd’hui. Ici, l’horizon ne connaîtra de limites temporaires que celles de sa fatigue. Elle a devant elle un vaste monde ouvert sur des possibles qui étaient impensables hier encore. Le temps n’a plus de sens, il est ce que chacun en fait.
Depuis son réveil, la lumière appelle Louise avec insistance. Intrigante, elle l’enveloppe dans une danse vibratoire à laquelle Louise n’a aucune envie de résister. Par conséquent, cette dernière laisse venir à elle la fascinante aspiration, parcourue d’une multitude de frissons électriques.
Quittant son ancienne ligne de faille au sortir du cocon, elle peut à présent rejoindre ce qu’elle a essaimé depuis toujours envers et contre tout, le plaisir de vivre. Louise se sent tout en vibration d’amour.
Au fil des années, telles des arabesques, des lignes étaient venues graver sa peau, sinueuses et de plus en plus nombreuses. Par-delà la métamorphose, Louise en voit à présent le complexe dessin recouvrir ses ailes, magnifiées en une œuvre d’art de leurs reflets azur irisés. Louise s’observe, se découvre, Louise s’admire. Elle s’amuse avec le contre-jour et la translucidité de ses membranes traversées de soleil. Merveilleuse.
Il lui faut prendre soin d’apprivoiser son nouvel état. Défriper ses ailes tout d’abord, apprendre à les utiliser ensuite, pour enfin explorer le domaine infini à sa disposition. Elle se déploie donc et s’élance. Découvrant avec une grâce innée les gestes à accomplir autant que l’attitude à adopter dans le nouveau monde, Louise s’aventure.
Son abdomen se tend dans l’axe de sa trajectoire en vue des cimes de la forêt. Louise est un souffle en apesanteur. Elle ne pèse pas plus qu’une plume. Un ramage des plus bavards commente son passage tandis qu’elle atteint déjà la crête des cèdres bleus, indifférente aux caquets des volatiles jouant les concierges des lieux.
Elle comprend à leur effervescence qu’elle aurait probablement dû rester sous la canopée mais, dans son exaltation, Louise a voulu monter aussi haut que ses ailes pouvaient la porter. Pour voir. Pour la jouissance que le spectacle allait procurer. De là où elle est, elle peut en effet entendre palpiter l’univers qui vrombit de ses millions d’êtres vivants, musique inestimable. Elle sait qu’elle doit redescendre vers eux. Sa place est parmi eux et non pas au-dessus d’eux.
Ainsi Louise volète à présent vers les foyers humains. Elle y est attendue. Elle est choisie bientôt par un jardin dont les fleurs recouvrent quasiment tout le sol en un entrelacs savant. Rutilantes, leurs couleurs triomphantes la détourneraient presque de sa destination. Il y a néanmoins là, couché de tout son long dans un des massifs chamarrés, un homme dont elle doit s’approcher. Elle ressent comme une urgence à le rejoindre vite. Depuis plus d’une minute, le cœur du jardinier peine à accomplir sa fonction et l’individu s’est effondré d’un coup.
Louise se présente avec délicatesse à celui-ci, vire-voletant devant son regard, en un éblouissement bleu, épinglé de-ci de-là de pointes d’or roux et, tandis que son cœur lâche, l’homme se laisse détourner de la panique en s’abandonnant pleinement à son sort. Il croit que Louise est venue le chercher mais il n’est pas l’heure de mourir pour lui. Au contraire, Louise veut le charmer de sa danse iridescente, elle veut qu’il ait repris son calme avant de partir.
Louise ne peut rester. Désormais affranchie de la lourde couche larvaire qui l’entravait dans son évolution, elle est devenue souffle de vie, elle est légèreté, elle est fragilité, elle est plaisir, elle est amour, elle est résilience, résurrection, joie et foi, délicatesse et douceur, beauté et espoir, Louise est un instant sacré suspendu dans l’éternité. Elle est ce tout qu’elle veut être pourvu qu’elle ne s’éloigne pas de la lumière qui la nourrit.
Mais cela ne saurait arriver car Louise est de la race des papillons.
NDA: Récit proposé pour les 10 ans de Short édition qui attend un texte de moins de 8000 signes, à partir de l’illustration d’Egon Swaels ci-dessus.