De tout son corps, elle entend
Le dur tumulte du vent.
Il s’époumone, il fouette,
Il siffle, gifle et tempête
Par de violentes bourrasques
Cris brusques et gigantesques.
Puis soudainement calmé,
Le vent enfin apaisé,
Après tant d’agitation,
Souffle une méditation,
D’un murmure dans les cimes,
Chuchotant des mots intimes.
Alors enfin elle comprend
Ce que le vent lui susurre
Sur ce qui jamais ne dure,
Une vie n’est qu’un instant,
Savoure-la maintenant…
Il existe des silences pesants, angoissés, certains honteux, d’autres douloureux, terribles, impossibles à percer, des silences qui vous rongent toute une vie.
Ceux de celui qu’elle aime sont divins.
Il faudra qu’elle lui dise combien elle les aime. Combien elle les veut.
Comment ne pas s’émouvoir de celui, unique et si délicieusement éphémère de la première fois, celui où elle a senti qu’il avait en lui cette même envie d’embrasser ? Celui où il a rejoint ses pensées sans mot, celui où elle a vu battre son cœur trop vite, celui où tout devient soudain évidences, où il lui suffit d’être pour que tout prenne sens dans son existence et que toutes les questions s’évanouissent dans le silence. Le trouble est d’une autre nature.
Mais si à présent elle lui demande de se taire, comprendra-t-il ses sentiments ? Il se méprendra bien sûr. Il aime tant parler même s’il s’en défend en prenant soin de dénoncer de plus bavards que lui qui l’ont largement dépassé. Il va croire qu’elle est d’humeur belliqueuse ou qu’elle joue à le provoquer. Il aurait raison, elle veut se faire remarquer, elle veut attirer son attention. Toujours, encore et encore. Il a raison sur toute la ligne : échanger, partager, donner de sa personne, consacrer du temps aux autres, les apprécier, les savourer, c’est une belle mission et elle veut le suivre dans cette voie mais elle veut aussi qu’il prenne le temps, pour lui, pour elle, d’abandonner sa voix.
Elle veut le faire taire d’un baiser puis d’un autre, d’une main qui l’approche tout contre elle, qui caresse, qui veut plaire.
Il faudra qu’elle lui dise ce qu’en silence elle pense, il faudra qu’elle trouve les mots un jour pour traduire le plaisir qu’elle a de le savoir tout à elle, si fière qu’il lui appartienne et plus encore de constater qu’il suffise de le vouloir dans ses bras pour qu’il la veuille à lui. Privilège sacré. Ténu.
De ce silence, il peut se lasser, être fatigué peut-être, ou bien encore avoir l’esprit capturé par des tracasseries rivales. Alors l’en détourner deviendra son défi car elle ne partagera pas celui qu’elle aime, à moins qu’il ne s’agisse de fantasmes auxquels, en guise de réponse, elle renverra les siens pour lui faire oublier aussitôt dans la plus grande volupté quels ils étaient l’instant d’avant. Dans les mains de celui qu’elle aime, se déploieront ainsi des courbes de velours, celles dessinées par ses seins et sa chute de reins.
Et il pourrait disparaître aussi, elle le sait. Il le lui confie parfois quand sa voix prend des teintes sombres. Elle y songe et bien vite chasse cette pensée : il est là, toujours, quand elle se blottit, il est là quand elle en a juste envie, intime caprice qu’il accueille d’un regard qui les unit et fait d’eux une seule entité.
Il est des fois où elle est à côté de lui, elle ne parle pas, elle le regarde, longtemps, et dans ces moments-là, il se glisse sous sa peau, au-delà de son propre corps. Il vagabonde dans son cerveau. Des échos de confidences viennent lui rappeler ce qu’à aucune autre il ne dit. Il est des fois où elle voyage en se remémorant l’odeur de sa peau, emportée par le souvenir de ses étreintes. Elle surprend à nouveau son regard qui aime à la voir nue, rougit, ses yeux en savent trop. Alors elle ne sait plus rien d’autre que lui. Elle s’évade, elle explore l’univers puis elle s’éparpille.
Ses silences peuvent tout d’elle.
Elle, elle n’a rien dit non plus, pour préserver la magie. Imperceptiblement pourtant elle s’est rapprochée de lui.
Elle médite maintenant. Elle prend le temps.
Elle est là, simplement, calme en apparence.
Elle goûte l’instant.
Si elle ne dit mot, en son for intérieur, c’est un tumulte, son cœur bat la chamade, amoureusement capturé.
Il faut qu’elle lui dise de se taire. Il faut qu’elle le lui dise pour qu’il puisse écouter son âme lui parler.
— Entends mon souffle, il me trahit. Souvent.
Juste quand elle se retourne,
Le temps de son demi-tour,
Elle découvre l’arbre à plat
Posé là, sur son parcours.
Sommée donc de réagir,
Elle sait qu’il lui faut… écrire.