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Ça gloussait dur du côté des filles. À l’autre bout de la table, les copains parlaient foot et politique alors autant dire qu’elles avaient vite décroché et, se faisant royalement tartir, s’étaient dissociées des congénères mâles pour s’adonner à plus palpitant. Livrées à elles-mêmes, leur propos avaient quelque peu dérapé. Les jeux de mots monstrueux à rougir de honte avaient fusé, avant d’en venir à plus consistant.
— Vous savez qu’Aline et Gilles se sont séparés ?
— Oh ? répondit Sophie « reboostée » par ce joli ragot.
— Meeerde, le dernier, il ne lui a déjà pas fait trois mois… Mais, attends, comment tu sais ça, toi ? Vous n’êtes pas censées vous faire la gueule toutes les deux ? demanda pour sa part Marie qui possédait un flair infaillible pour dénicher les situations louches.
— J’ai mes sources… se contenta de répondre Camille en toisant ces deux petites camarades de jeu avides.
Limite arrogante, Camille. Un petit regard bien appuyé pour signifier aux copines qu’elle en savait même beaucoup plus que ce qu’elle avait laissé entrevoir les mit en transe, direct.
— Bon, vas-y, crache ! Dis-nous ce que tu sais, lança une des deux visiblement restée en apnée.
— Facile ! Je le tiens de première main.
Les gars qui défendaient avec ardeur leurs convictions sociopolitiques ne s’aperçurent pas du silence pesant qui planait à cet instant entre les filles.
— Eeeeet ? dirent en cœur les deux mordues.
À nouveau ce petit air peste chez Camille. Pour obtenir les détails croustillants, il faudrait prier sa sérénité vénérée en bonne et due forme.
— Alleeez ! insista Marie qu’aucune humiliation ne freinerait jamais du moment qu’il s’agissait de déflorer un secret. Fais pas ta crevarde, balance tout !
Camille succomba alors à sa propre envie de cafter :
— Disons qu’Aline n’a pas apprécié que son mec finisse la nuit chez moi… Hier soir.
Camille jubilait devant ses copines médusées. Mais Marie, grâce à son fidèle instinct, se reprit assez vite :
— Tu t’es tapé le beau gosse ? Toi ? Tu nous fais marcher.
L’œil noir la fustigea avant que le son ne prenne le relais.
— C’est vrai que tu ne peux pas comprendre toi qui galères tant à conclure, mais Gilles et moi, oui madame, on a passé la nuit dernière ensemble.
Manquait le coup de grâce pour lui clouer le bec à la Marie. Elle ajouta donc d’un ton orgasmique à peine simulé :
— Et c’était divin…
— Hop, hop, hop, on arrête tout les filles ! s’interposa Sophie moins par altruisme que parce qu’elle voulait en savoir plus. Oh, la tête qu’elle doit tirer en ce moment, la mère Aline ! Comment elle doit l’avoir mauvaise ! Mais, comment as-tu réussi à lui piquer son mec ?
Trop fière, Camille esquiva la question :
— Maintenant, ça fait un partout !
Et de trinquer toutes les trois à la bonne nouvelle. Un corps de déesse ne mérite que le mépris. C’est vrai quoi, Aline leur raflait tout le temps leurs mises avant qu’elles aient eu le temps d’aborder celui en passe de devenir l’homme de leur vie. En fait, elles ne se voyaient elles et Aline que quand celle-ci avait jeté officiellement son dévolu sur une proie. Le reste du temps, elles la fuyaient comme la gale. Si elles continuaient à se fréquenter, c’est uniquement parce qu’il y avait toujours un vivier de mecs attractifs dans son sillage. De beaux restes en quelque sorte. De quoi chiner.
Sophie trépignait d’impatience. Cela faisait deux mois qu’elle désespérait de se faire remarquer de celui qui lui faisait face en bout de table, occupé à refaire le monde au point de l’ignorer superbement.
— Tu lui as piqué son Jules ? relança-t-elle.
— Non, Gilles, pouffa Marie, faut suivre ma grande !
Mais Sophie qui était dans son trip ne lâcha rien.
— Dis-nous comment t’as fait.
— So, la rembarra Camille qui la trouvait lourdingue, veux-tu que je te fasse un joli dessin ?
Sophie sourit mais persista tout de même.
— Non, sérieux, comment as-tu fait pour faire tomber Gilles ?
— Ben, j’ai fait simple. On n’était que tous les deux hier alors je lui ai mis mon décolleté sous le nez toute la soirée et, quand je l’ai senti mûr, je me suis collée contre lui. Après, je l’ai laissé prendre en main la suite, si tu vois ce que je veux dire… Tu sais bien qu’ils sont du genre on/off les mecs.
Marie et Camille explosèrent de rire devant l’air méditatif de Sophie. Puis Marie perçut la brèche.
— Dis donc, toi, tu te rencarderais pas pour un projet personnel imminent, par hasard ?
C’était mort, autant que Sophie leur dise la vérité :
— Le regardez pas, c’est Julien, avoua-t-elle en rosissant.
Les deux copines se regardèrent interloquées. Du coup, exit Gilles et son ex, les deux faucons femelles avaient beaucoup mieux sous leurs serres.
— Cela ne fait que deux mois qu’il se joint à nous mais, moi, j’ai tout de suite accroché. J’arrive pas à le lui faire comprendre. Il est si respectueux… Tu ferais quoi, toi, Camille ?
— Basique, j’te dis, lui répondit sa coach.
Marie ne dit rien. Camille gérait après tout et cette dernière sentit que Sophie était empêtrée dans sa timidité. Il fallait être plus convaincante.
— Sophie, si tu attends patiemment en petite fille sage, une autre va venir te le piquer ton Julien. Lance-toi ma belle ! Conquérante. En mode fatal warrior ! Tous les arguments en avant.
Bingo ! La peur de perdre celui qui occupait toutes ses pensées eut raison des résistances de Sophie. Ainsi les copines la chauffèrent tant qu’elles purent tout le reste du repas.
Au sortir du restaurant, Sophie était au taquet. Elle s’arrangea pour que Julien la ramène chez elle, prête à lui sortir le grand jeu. À l’abordage ! Un dernier petit coup d’œil complice aux copines avant de se séparer et la phase d’attaque allait pouvoir commencer.
— Euh… on lui dit avant qu’il ne soit trop tard ? demanda Marie à sa comparse tandis que les tourtereaux rejoignaient leur voiture.
— Nan, répondit Camille, on va pas lui dire qu’il est homo sinon qu’est-ce qu’on aura à se raconter la prochaine fois qu’on se verra entre filles ?
NDA: Cette nouvelle a été proposée sur le site Short édition au concours estival “Faites sourire” dont le thème est: “à l’abordage” (maximum 6000 caractères).