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Depuis que je l’avais enterré dans le fond du jardin, son ombre apparaissait de temps à autre sur la pelouse. Pour me culpabiliser, je suppose. Raté ! Ce petit classique de la persécution depuis l’au-delà pour venir hanter la pensée des vivants ne prendrait certainement pas sur moi, je n’étais pas né de la dernière pluie. Primo, aucune affection ne nous avait jamais liés lui et moi vu que ce n’était pas mon animal mais celui des voisins qui ne s’en occupaient jamais. Secondo, j’étais bien trop content de l’avoir tué : il était vieux, il sentait le bouc, il passait son temps à aboyer dans le vide. Une plaie pour tout le monde. De fait, il ne manquait à personne. Un corniaud, vous pensez… On a coutume de dire que les bâtards sont plus intelligents que les chiens de race. Celui-ci devait faire exception, il n’obéissait pas à ses maîtres, fuguait à tout bout de champ, venait faire ses besoins chez moi, des trous aussi… Non, il devait être aussi débile que les autres, ce chien. Et laid comme un pou avec ça. De son vivant déjà. Alors, mort, imaginez, c’était pire. Le spectacle de sa lente décomposition le rendait absolument immonde. Et ça, c’était tout bonnement insupportable.
Rendez-vous compte que son fantôme avait le toupet de revenir me flanquer des coups au cœur en apparaissant sans prévenir sur ma propriété sous des aspects de plus en plus repoussants, passant par tous les stades de la dégradation physique. Zombie jour 1, zombie jour 2, zombie jour 3…. J’avais beau n’éprouver aucune empathie pour l’animal vivant, j’avais quand même beaucoup de mal à soutenir la vision de sa chair morte boursoufflée par les vers grouillant en tous sens, et de sa chute au sol, par moments. Bien qu’estampillée identité ectoplasmique, les allées et venues de cette chose me saisissaient chaque fois d’une grande décharge dans le myocarde. Un réflexe certainement mais qui se renouvelait tous les jours sans s’estomper. Le petit con ! Je n’allais pas tenir longtemps à ce rythme.
En outre, cette bestiole me gâchait systématiquement mes sorties dans le jardin. Du coup, j’évitais de sortir. Mais quoi, je n’avais pas investi dans une verrière à 40 000 euros pour devoir me cogner une face de rat décomposé en arrière-plan jusqu’à la fin de mes jours ! L’insolence de son regard implorant m’insupportait au plus haut point. Je ne vous cache pas le fait peu digne d’avoir réagi au début en le traitant de tous les noms d’oiseaux pour le faire déguerpir. Rien à faire. Le chien était déjà sourd comme un pot de son vivant et n’obéissait pas à ses maîtres, alors, occis, ça n’était pas allé en s’arrangeant. À se demander même s’il me voyait vraiment à me fixer de son regard bouffi, pendant des heures, sans bouger sinon pour perdre un morceau au sol en un plop mou. Impossible de lui faire baisser les yeux au cabot. L’étrangler une deuxième fois ne servait à rien. Ni la troisième. Ni le coup de pelle dans la tête. Pas plus que celui de la pioche ou que toutes les autres tentatives pour me débarrasser de lui. Les coups partaient dans l’évanescence de son essence éthérée sans le faire bouger d’un poil. Son immunité de cadavre était d’un frustrant sans nom. Punaise, je n’allais pas finir ma vie avec un canidé mort à mes basques !
L’idée me passa un jour en tête que la solution était peut-être de refourguer mon fantôme à quelqu’un d’autre. Plus facile à dire qu’à faire. Comment pouvait-il aller hanter quelqu’un d’autre ? J’ai bien essayé de culpabiliser mes voisins pendant quelques semaines mais pour eux, Paillasson était de l’histoire ancienne depuis que la jeune et racée Carpette l’avait remplacé. Chou blanc donc.
Qu’est-ce qui pouvait faire fuir un fantôme ? Telle était la question. Ce fut là que je me souvins que dans un film avec Bruce Willis, j’avais vu qu’il suffisait d’entamer la conversation avec les morts et de répondre à leur requête, ce qui, avec un chien s’avérait nettement plus complexe à mettre en place. J’ai zappé l’idée de lui gratter ce qui lui restait de tête entre les touffes de poils qui tenaient encore dessus mais je n’ai pas mégoté sur d’autres petites attentions comme celle d’apporter un bon gros gigot d’agneau mijoté maison, un canard qui fait pouic pouic, une jolie baballe… Tous les grands classiques y sont passés. Eh ben, je peux vous dire que mon fantôme s’en contrefichait comme de la dernière paire de chaussettes qu’il n’avait jamais eue. Humiliant. Bien sûr, j’aurais pu deviner avant que ce qui était d’ordre matériel ne pouvait en aucune façon intéresser une ombre dépossédée d’appétit pour les plaisirs de la vie mais ne rien tenter eût été pire pour mon moral.
Il existait certainement une autre solution. Partir en vacances ? Inefficace sur une ombre, elle vous suit comme la vôtre aux quatre coins du monde. J’ai vérifié. Inutile de déménager non plus par conséquent. Ma feinte me coûta cher d’ailleurs car, telles des représailles d’en haut, l’ombre se démultiplia. Elle fit des petits clones dans mon jardin, partout où je tentais de lui échapper. Il y en eut bientôt dans l’abri, au pied des arbres, devant les parterres, devant dans la cour, devant le garage… Où que j’aille, je tombais sur la même horreur démultipliée en une bonne dizaine d’exemplaires. Il m’était impossible de trouver le moindre refuge dehors. J’étais cerné.
Que faire ? Me repentir ? Bien sûr ! Étais-je bête, c’était ça la solution ! J’allai brûler un cierge à la chapelle du village dans l’instant même où l’idée m’était venue. Le fiasco ! À mon retour, toute la meute était là au grand complet. Je soupçonnais qu’il y en avait peut-être un ou deux exemplaires de plus. De vrais Gremlins. Sauf qu’eux ne faisaient pas de dégâts. Je versai une petite larme pour vérifier dès fois que ça ait manqué à mon repentir dans le lieu saint. Une prière ? Un pardon ? La promesse de ne jamais recommencer ? Aucun changement. « Paillassombre » et sa troupe trônaient toujours aussi misérablement dans ma propriété.
J’en étais arrivé si bas que j’étais presque prêt à aller me dénoncer à mes voisins en leur révélant où j’avais enterré le corps de leur animal déclaré disparu sauf que j’aurais voulu des garanties sur le résultat avant, sinon, à quoi bon ? Autant vous dire que je passai ce soir-là une très mauvaise nuit à ressasser le pour et le contre avant de laisser tomber au final cette idée qui m’était fort déplaisante car j’avais fini, ô précieux miracle, par trouver la voie de mon salut.
L’ombre et ses répliques ne faisaient aucun bruit, n’émettaient aucun son, aucune nuisance odorante non plus… Bon, bon, bon, c’était tout simple en fait. Mon idée était audacieuse mais imparable. Ainsi j’allais l’avoir mon cabzir. Ce satané fantôme ne m’aurait pas ! Oui, j’allais lui couper la chique à ce clébard de malheur, lui montrer qui était le plus malin. Lui souhaiter bon vent à lui et toute sa meute ! Il ne me soumettrait jamais à sa malédiction.
Désormais, voyez-vous, je savais que je le tenais cet idiot et ça me mettait en liesse. J’en riais tout seul à fourrager dans le fond de mon garage à la recherche de ce qui allait me permettre de me libérer enfin de la compagnie des spectres. Un acte terrible mais néanmoins un mal nécessaire. On n’a rien sans rien, comme on dit. Courage ! En agissant vite, le doute n’aurait pas le temps de me faire renoncer à mon projet.
Désormais, mes amis, j’allais être aveugle ! Un bon coup d’acide dans les yeux et c’en était fini de mes visions. Aussitôt dit, aussitôt fait.
Alors, Paillasson, on fait moins le malin. Tu ne peux pas me répondre ? Ha ! Rien ne peut me faire plus plaisir. C’est qui le plus fort ?
NDA: Texte improvisé (j’avais que 2 h de dispo, enfin, à arracher au temps) pour le concours Imaginarius 2018 de Short édition : il était attendu une nouvelle en 8000 caractères maximum sur le thème « les ombres » dans le style fantastique, merveilleux, SF ou fantasy.
Comme celui qui a déjà lu sine canon, comme en terre Caïn, l’Œdipe pourpre… 😉
Attends, attends, que je médite un peu là dessus… Ça le mérite.
(Merci d’être venu me relire, Christian, ça me fait super plaisir.)
Jolie improvisation, je n’aimerais pas t’affronter dans un duel de tchatche *
* Bagou dans le midi…
Rhôoo, merci. Tu sais quoi, j’adorerais… Avec ta répartie… Quoique, c’est quitte ou double, soit on s’amuserait grave, soit je serais muette d’admiration devant le maître à penser.
Merci d’être revenu commenter dans ce coin, Alain. Ça me fait énormément plaisir.
Toi muette ?
😉
Tu es comme moi, à moins d’être aphone ce n’est pas demain la veille…
Je crois bien que mes copains sont tous pires que moi!?
Ce chien est le cousin de Sparky dans Frankenweenie ! N’as-tu pas peur qu’il revienne te hanter avec son odeur maintenant que tu ne peux plus le voir ?
J’adore le court métrage en noir et blanc de Tim Burton. La version longue, je ne l’ai pas encore vue.
C’est vrai qu’après avoir fini mon histoire, j’ai pensé aussi à Sparky.
Pour le problème d’odeur, espérons pour mon personnage que la vermine viendra faire son job de “nettoyage”… (Beurk!)