— Dehors !
C’était on ne peut plus net. Dans un geste brutal et d’un mot choisi, bien tranchant, il m’avait brisée. Il avait déjà tenu des propos violents avant, rarement d’ailleurs, et jamais il n’était allé plus loin dans les actes. Je ne comprenais pas toujours ces sautes d’humeur, j’en avais aussi alors, bon, on était quitte. Et puis je mettais nos griefs sporadiques sur le compte de l’énervement ou d’une fatigue excessive comme l’usure du quotidien en engendre parfois, un débordement qu’on regrette ensuite l’un et l’autre, honteux. Bien sûr, nous nous étions parfois accrochés de façon virulente, c’était déjà arrivé, je ne suis pas toujours facile à vivre, chacun tenait fermement campé sur sa position et nous étions partis à plusieurs reprises dans un éclat de rage volcanique mais ce qu’il venait de me dire là revêtait le caractère du définitif. Quand il se comportait mal, mieux valait se faire tout petite, je faisais le dos rond pendant un moment et la vie reprenait son cours normal, c’était vite oublié mais cette fois il m’avait parlé d’une voix atone, inhabituelle, avec la voix de celui qui est résigné à se séparer de moi comme si c’était une bonne solution pour nous deux, du type non négociable. Et il ne s’était même pas préoccupé de ce que je pensais, voilà, c’était sa décision, elle était sans appel, une évidence que je me devais d’encaisser avec dignité j’imagine.
D’abord furieuse envers le traitement humiliant qu’il venait de m’infliger, j’avais pesté tout mon saoul. J’en avais même craché au sol de colère. Pas question que je bouge de là, j’étais chez moi aussi ! Puis, face à la porte fermée, j’ai commencé à suffoquer devant l’acte radical qui ne laissait espérer ni pardon ni réconciliation. Perdue, décomposée, j’étais donc restée devant la porte, stupide, parfaitement incapable de quitter les lieux. Je pensais, si naïve, qu’il allait finir par se radoucir et changer d’avis, il allait rouvrir tout de même, me parler, me parler mieux, avec le respect de deux êtres qui se sont aimés, il ne pouvait pas finir sur l’image de ce salaud au cœur froid qui venait de me mettre à la porte comme une malpropre. Je le connaissais assez pour savoir qu’il ne pouvait pas être ça ou sinon ça signifiait qu’entre nous tout n’avait été qu’une vaste supercherie depuis des années.
Plongée dans mes pensées chaotiques, j’étais restée figée, me laissant lentement rongée une partie de la nuit par l’espoir tenace qu’il se raviserait. Cette violence ne pouvait pas être, c’était totalement inconcevable. Jamais personne ne se conduit comme ça envers celui qu’il aime, jamais, et pourtant, du tréfonds de ma mémoire meurtrie, je me rappelais l’avoir déjà vécu, dans une autre vie, c’était loin, enfoui dans un cauchemar que je ne voulais pas faire ressurgir car j’en porte encore aujourd’hui les séquelles et il m’est trop pénible d’y repenser, sauf que me voilà ce soir-là à revivre cet abandon plus violemment encore. Je ne pouvais pas nier l’évidence. Cet homme venait de se conduire comme le dernier des salauds. Tous des salauds. Les hommes sont tous des salauds. Lui comme les autres. J’eus du mal à réprimer en moi l’envie d’en vouloir à l’humanité entière.
Son geste venait de me dire que je n’étais plus rien, rien de respectable, peu importe mes sentiments, je ne comptais pas, j’étais devenue une chose obsolète dont on se débarrasse. Poubelle !
Impossible, impensable, celui que j’aimais ne pouvait pas être cet homme-là, je ne pouvais pas l’envisager ne serait-ce qu’une seconde, je le connaissais trop bien. Puis le doute vint me torturer à nouveau. Est-ce que ça venait de moi ? Était-ce moi qui attirais ce genre de comportement cruel ? Mon homme n’était pas abject, il était une personne douce, il savait être attentionné, aimant, et même dans une séparation, il ne pouvait pas se comporter ainsi, ça ne collait pas avec ce que je savais de lui et pourtant il venait de le faire sans état d’âme.
Je voulus croire qu’il ne pourrait pas rester enfermé bien longtemps dans cette indifférence à mon égard, ça ne lui ressemblait pas. Me quitter comme ça ? Non, non, non, c’était fou, ce n’était pas lui. Comment aurais-je d’ailleurs lui inspirer ce rejet immonde alors que nous nous sommes aimés tendrement ? Incompréhensible, ça ne se pouvait pas. Il devait bien le savoir qu’il venait de triturer mes hantises, il le savait certainement, il devait se souvenir de qui j’étais avant de le rencontrer. Il ne pouvait pas avoir oublié qu’il est celui qui m’a sortie du caniveau. Qu’il ne compte pas sur moi pour lui épargner le remords de la culpabilité ! Il me verra demain matin, sur le pas de la porte, blessée, écorchée vive par sa faute et il assumera ma rancœur. Il aura pitié, il me prendra dans ses bras comme toujours. Il ne peut pas m’abandonner comme ça. Il connaissait mon passé, il savait très bien que j’étais sensible, très sensible, et que l’abandon m’avait déjà rendue folle de chagrin. Il m’avait déjà vue dans cet état quelques années auparavant, fantôme de moi-même, ne croyant plus en personne, vidée de mon âme, ayant oublié jusqu’à mon identité.
Par dignité, ne serait-ce que par dignité, je devais rester et attendre qu’il rouvrît cette porte dont je n’avais pas la clé parce que l’on ne pouvait pas se séparer d’une manière aussi indigne, pas après avoir vécu tous ces gestes tendres, ces regards intenses et ces caresses douces. Je devais rester, je voulais qu’il me regarde droit dans les yeux pour me dire en face que je n’étais plus rien. Alors il comprendrait que ces choses-là étaient impossibles.
La porte s’ouvrit.
— Tu es encore là.
Ce n’était pas une question, plutôt un constat embarrassé. Il était là, une valise dans chaque main.
— Tu ne comprends pas que c’est fini ? Ne rends pas les choses plus compliquées, ne me regarde pas comme ça je t’en prie. Je dois partir, tu le sais, nouveau boulot, nouvelle vie, Londres, le studio pour six mois, peut-être plus si ça marche… Et puis il y a le voisin. Tu l’aimes bien, je le sais. Il saura être doux avec toi. Tu t’y feras… Vous finirez par être heureux ensemble.
Envie de l’écharper soudain. Le massacrer. Lentement.
— Oh ! Si tu savais comme je suis désolé que mon nouveau proprio ne t’accepte pas. Mais, promis, tu oublieras très vite toutes ces petites tracasseries Mistigri.
J’ai parcouru ce texte en me disant tout en lisant …. pff pas envie d’histoires d’amour brisé.
J’ai continué comme dab pour connaître la fin et là
J’ai beaucoup ri.
Me sentant prise par surprise d’une fin tout à fait inattendue ! La magie des histoires de la brune
Moi, laisser le lecteur enfermé dans un étau ? Non. C’est le contraire qui m’incite à écrire. L’exact contraire.