Divagations d’une pyromane comblée

(Temps de lecture: 6 mn)

Le prix Court et noir est de retour. Thème : « Dans la fournaise ». Valérie, tu as deux heures !

Le côté obscur de mon imagination n’attendait que ce coup de feu pour plonger tête baissée dans les profondeurs insalubres de mes divagations. Pas le temps d’opposer le début d’un véto à ce qu’elles trament que mes mains posées sur le clavier laissent se dérouler ce qui suit :

« Les Allemands attendent dehors alors qu’ils devraient nous forcer à ressortir de la chapelle. Nous sommes stupéfiés. Puis notre cerveau réalise l’horreur de cette incohérence. Ils vont nous faire mourir ici, pour l’exemple, pour l’impact que ça aura sur le reste du village et par là sur tous les résistants qui oseraient encore penser à se rebeller contre le régime. Peu leur importe que nous soyons innocents, ils veulent un châtiment.

Marie, ma petite chérie, hier encore un bébé, se colle à ma jupe et me regarde, les yeux rougis de larmes qui n’en finissent plus de rouler sur ses joues rondes d’enfant condamnée au supplice. Car oui, Dieu vient de décider que nous finirons en martyrs. Ainsi Marie sait désormais : la promesse que je lui ai faite que nous nous en sortirions si nous restions ensemble est un leurre. Je ne peux plus la protéger. Et cette pensée m’anéantit.

L’homme qui nous a amenés ici avec lui hésite. Il est le seul à posséder un fusil et il est devenu si faible, lui qui nous a enjoints pourtant avec rage de le suivre en ce qui devait être un sanctuaire inviolable. Doit-il tirer à la chevrotine pour faire sauter la porte ? Maintenant ? Nous ne pouvons rien décider, tétanisés par la peur, toutes générations confondues en une entité unique dépassée par l’innommable. Un bruit sec heurtant avec brutalité la porte sacrée répond à notre place. Il est suivi d’autres coups sans équivoque. C’est le bruit de marteaux enfonçant des clous. Les Allemands fixent des planches, manière cynique de nous crucifier d’un seul geste pour laver l’affront des attentats de la nuit dernière. Le fracas de vitraux brisés par des grenades incendiaires achève de nous terrifier en faisant voler en éclat l’éblouissement de Dieu au travers de la salle. Son fils et ses apôtres, réduits en petits morceaux de verre de pacotille, sont projetés en une pluie maléfique venue écorcher nos chairs offertes au sacrifice. Dès lors, une chaleur suffocante se répand dans toute la chapelle. Par instinct, Marie enserrée dans mes bras, je me réfugie sous l’autel, abri dérisoire contre l’absurde tandis qu’un nuage âcre, au travers duquel je peine à distinguer les lueurs dansantes de feux avides, nous brûle les yeux et la gorge. Je vous en supplie Seigneur, ne me laissez pas sentir ma fille mourir d’asphyxie contre mon sein. Mais il est trop tard, je ne sais depuis combien de temps elle ne respire plus, le temps s’est dilué depuis que je tiens dans mes bras une poupée de chiffon dont la tête tangue dans le vide sous mes quintes de toux. Ce n’est plus ma fille. Mes poumons résistent à l’étau décidé à les liquéfier alors que j’implore ma délivrance. Mon corps s’effondre au sol, comme s’il pouvait trouver là une échappatoire à la fournaise. Les dalles sont bouillantes. J’ai lâché Marie. Elle est là, quelque part. Je ne parviens pas à la retrouver au-delà de la brûlure qui perce mes yeux mais je sens des masses se mouvoir dans la déchirure des fumées, je les entends respirer lourdement, elles s’approchent, elles m’entourent. D’immenses silhouettes noires dotées d’horribles groins sont parvenues à pénétrer l’Enfer et leurs bras crachent du feu… »

N’importe quoi, je ne vais pas raconter ça sur Short ! Pas envie que tout le monde me vomisse ses tripes sur l’écran en jets pestilentiels. Ceci dit, c’est mieux que ma toute première idée, éliminée d’emblée car nauséeuse :

« Le bus scolaire s’éventra dans une vrille sur lui-même sous les yeux des automobilistes sidérés, laissant place à une vision infernale qui jamais plus ne lâcherait leur esprit. Le moteur explosa avant qu’ils n’aient le temps de réagir. Les hurlements de douleur et les appels à papa ou maman, le fracas des bris de verre, le grincement lugubre de la tôle qui se disloquait en ses flancs enfoncés, furent vite recouverts par de lourdes flammes chargées de suie tentant de masquer la scène immonde se jouant devant les adultes impuissants, incapables d’effacer l’image de ces petites mains venues se coller aux vitres. Au milieu de l’épaisse fumée, vint rebondir au pied de l’un de ces derniers une chaussure arborant un poney à la crinière arc-en-ciel, maculé de sang, les bords racornis car à moitié calcinés. Et des cris, emplissant l’espace, des cris d’enfants, universels, déchirant l’âme jusqu’au point de non-retour. Pour en ajouter à l’abomination de la situation, il fallut endurer aussi l’odeur de la chair léchée par des langues de feu affamées… »

Ouais, pas mieux, je disais. Pas certaine que le public shortien sera mû d’un enthousiasme débordant pour des images de cet acabit. Il faut que je trouve un sujet un peu plus soft. Les tours jumelles ? Mmh, non, réchauffé… Ou alors la crémation de ma grand-mère, tant qu’à faire dans le réchauffé ? Non, c’est une bande de chochottes sur Short, ils ne sauront pas apprécier mon art. Le deuil est une valeur sûre sur le site mais c’est un émotif le shortien, ça veut pas qu’on lui précise les détails qui piquent l’épiderme. Remballons ce qui se passe derrière la plaque occultante une fois qu’elle est rabattue et lançons-nous dans une jolie petite apocalyspe… Eh, pas mal ça, la dystopie, ça plaît bien… Pi le lectorat est conditionné par les journaux alarmistes sur le réchauffement climatique, alors ouais, ça peut le faire. Allez, c’est parti pour le récit des dernières heures, quand les espoirs sont achevés, que chacun sait qu’il va d’abord passer un sale quart d’heure avant d’expirer. J’appellerai ça « Délivrance ». Mauvaise idée ! C’est ce que va penser le lecteur en finissant de me lire ! Mais l’occasion alors d’une subtile mise en abyme… Ouais, mais non, la dystopie, c’est vu et revu, ça me gave déjà. Et si je partais plutôt dans le fantastique, personne n’y croit plus, c’est confortable. Je revisite « Le Horla » en y mettant les visions infernales d’un narrateur, pas fiable comme il se doit, et zou, le tour est joué. Nan, j’aime pas, ça sent le vieux. Ou… Ou je tente un truc improbable que même moi, j’y crois pas. Que plus édulcoré, y’aura pas. Là, ça commence à me parler. Go !

« Après les avoir arrachés aux leurs, dépossédés de tout, puis parqués dans une cellule exiguë, l’homme les avaient plongés dans le noir et laissés lentement mourir de faim pour les affaiblir. Sans espoir d’en ressortir, coupés du monde, coincés les uns contre les autres, ils avaient senti lentement leur peau s’endurcir, comme si elle se fossilisait. Puis, au bout d’un temps interminable, il s’était souvenu d’eux et ce malade les avaient jetés violemment au fond d’une cuve à grains, les abandonnant à leur terreur avant de refermer sur eux une lourde chape qui les plongea de nouveau dans les ténèbres. Certains s’étaient échappés de sa poigne de fer mais il les avait repris avec une facilité qui les priva de tout espoir. Ils étaient soumis aux lubies cruelles de leur tortionnaire. Du sol suintait une matière visqueuse et ils glissèrent, maladroits, perdus. Puis ce fut l’étuve, une chaleur infernale, montée en puissance d’un seul coup. Des claquements bientôt se mirent à retentir tout autour d’eux, à droite, à gauche, en l’air, ça claquait de partout désormais, à un rythme qui ne cessait d’augmenter. Cela venait d’eux. La température était si forte que leur chair explosait en les projetant les uns sur les autres. Quand il n’y eut plus aucun bruit, la chape de la cuve se rouvrit pour laisser place à un charnier d’anges immaculés aux ailes déployées jonchant la totalité du sol. »

Oui, je préfère, c’est plus sympa. En revanche, je me demande à quel moment il faut que je précise qu’il s’agit de pop corn.

 

 


NDA: Texte proposé pour le prix Court et noir 2019 de Short édition (8000 caractères maximum).

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