Ce matin, grasse mat’

Pas envie de me lever, je suis trop bien dans le lit. C’est tellement agréable de prendre le temps de vivre. Je m’étire puis ramène sur moi le drap qui s’obstine à afficher sa préférence pour l’autre côté parce que Greg a encore fait le rouleau de printemps. Je tire dessus puis je me recale, la tête bien calée dans l’oreiller, lovée, zen. J’aime laisser se prolonger dans un flou langoureux mes idées encore toutes absorbées par le moelleux des plumes de l’oreiller. Je savoure mon confort, c’est si bon de se cocooner le matin. Vacances. Pas de montre. Programme idéal.

Je suis sûre que Greg fait semblant lui aussi de ne pas être réveillé. Quand il se tourne comme une toupie dans le lit, c’est qu’il espère replonger dans son rêve en trouvant la position où sa conscience va lâcher prise. Y arrivera pas, trop nerveux. Dommage, le voilà condamné à se lever tôt. Il existerait bien une autre solution…

Stratégique, je ne bouge pas d’un millimètre. Je fais durer, végétative. J’écoute le silence en me demandant si Greg va enfin se décider à venir glisser une petite main fureteuse de ce côté-ci du matelas. Pas question de lui révéler que j’en ai envie, il doit le deviner. Ça signifiera qu’on est sur la même longueur d’ondes et confirmera que nous sommes faits pour être ensemble. C’est toujours bon de reconfirmer ces choses-là. Donc j’attends…

Il remue mais pas de main baladeuse ni de bras qui explorent mon côté. Fausse joie. Je reste concentrée sur ma respiration lente et régulière, histoire de rester crédible. Toujours rien. Calme plat. Il se tourne une nouvelle fois. Ça se précise on dirait. Je garde les yeux fermés, figée, et j’entends soudain qu’il referme la porte tout doucement pour ne pas me réveiller. C’est malin !

Comble du vice, je me souviens du coup qu’il m’a précisé hier soir à table qu’il irait chercher le pain ce matin. Je crois qu’il est bien parti pour le faire l’idiot. Selon lui, attention, c’est du sérieux, un petit déjeuner sans tartines est inconcevable. J’en ai autant à déclarer au sujet des matins sans câlin mais, présentement, je ne peux même pas avoir l’option de lui en vouloir vu qu’il se montre plein d’attentions. Doublement frustrant !

Ma libido si peu modérée en ces jours de vacances anticipait pourtant des ébats d’une sensualité torride. Arqués, fiévreux. Eh bien elle peut remballer ses prétentions mon imagination car je vais passer pour la chieuse de service si je me plains de son absence. Faut que j’évite, ce serait contre-productif.

Pire que ça, quand je le rejoindrai à la cuisine à son retour, il faudra que je me contente de lui dire que je l’aime. Je le trouve très moyen ce scénario. Reste la table de la cuisine… La vision que j’ai de son usage me passe l’envie de m’éterniser dans mon lit à moitié vide. Debout !

Minute ! Si je lui dis que je l’aime en venant le retrouver pour le petit-déjeuner, avec mon adrénaline et mon désir remontés comme à bloc, alors que lui il s’est juste absenté deux minutes pour acheter du pain au bout de la rue, il va penser que je me paye sa tête :

   Oh, quel exploit, quel dévouement, quelle abnégation mon chéri ! Prends-moi.

Non, présenté comme ça, au réveil, alors qu’il n’a pas réussi à se rendormir un jour où il pouvait faire une grasse matinée, il va partir en vrille mon Greg. Je préfère m’y prendre autrement. On oublie le « je t’aime », un bonjour sobre sera suffisant. Mais d’un autre côté, faire comme si de rien n’était va me faire passer pour une ingrate égocentrique primaire.

   T’es allé chercher le pain et alors, je dois applaudir ? Youpi ! Bravo ! T’es mon héros ! Prends-moi.

Non, là, c’est pire.

Chut! Il est revenu. J’entends le bruissement d’un sac en papier en phase d’approche. Tel que je le connais, il nous a ramené des croissants. Pfff ! Il m’énerve Greg à être si prévenant… Ce n’est pas des croissants que je veux moi… S’il me ramène ça dans le lit… J’ai horreur des miettes… Grasses en plus… Ah non, il est parti vers la cuisine.

Il gâche tout ! La chambre c’est par ici, ohé ! Et moi qui avais discrètement ôté mon pyjama dans la nuit après avoir rusé comme une Sioux pour enfiler ma nuisette sans qu’il s’en aperçoive ! Celle de soie noire à laquelle il n’a jamais su résister. Il n’a rien vu, rien du tout. Nul !

Puis je ne peux pas sortir du lit habillée comme ça, je vais me geler à me promener en nuisette, fait trop frais. Si je tente d’enfiler mon pull qu’il a déjà osé appeler pour me convaincre de l’enlever « le gilet contraceptif », ça va casser l’ambiance. Il est chiant Greg, c’est fonctionnel.

En résumé, il m’a tout planté. Alors qu’il n’espère pas une seconde que je le remercie pour sa discrétion, le pain ou ses croissants de merde ! Il le sait en plus que je suis au régime.

Je l’entends s’appliquer à tirer délicatement les rideaux du salon. Il me cherche ou quoi ? Et maintenant il est en train d’ouvrir les volets ! Ce geste anéantit tout espoir de le voir revenir dans le lit. Et je devine déjà que, pour couronner le tout, il va m’attendre pour qu’on prenne le café ensemble… Le blaireau !

Mais qu’il vienne plutôt me réveiller oui ! Je ne veux pas qu’il soit choupinou Greg, je veux qu’il ouvre la porte en conquérant, qu’il me bouscule, qu’il se jette sur moi, me découvre à moitié nue et m’attrape comme un guerrier barbare venu piller les maisons et violer les femmes du village !

   Tu ronfles.

Hein ? Comprends pas… Qu’est-ce qu’il fiche dans le lit Greg ?

Le coup de coude qu’il m’a donné sous le drap m’irradie la côte et s’il y a un truc que je ne supporte pas dans la vie, c’est qu’on vienne m’agresser quand justement je suis parfaitement détendue. J’allume direct le plafonnier pour qu’il voie que je le fusille du regard. Je sors de la chambre furibonde. Je claque la porte.

Ouais, je sais, je l’ai planté ce naze. Je ne veux plus voir sa tête. Je suis furieuse et je veux déjeuner seule.

Il n’y a plus de pain.

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