Raphaël,
Je suis intimidée de t’écrire car je ne suis qu’une voisine, ma lettre te surprendra certainement ou te paraîtra naïve, tant pis, moi je pense à toi et je m’en voudrais de ne pas venir te soutenir au moment où tu en as le plus besoin. Je t’apprécie beaucoup et ton procès ne change rien.
Ce que tu as fait, sache que je l’ai fait moi-même dans ma tête et ce que j’ai imaginé alors était autrement plus violent et si réel dans mes chairs. Tu as bien fait. Je pèse mes mots car c’est ce que je pense intimement. D’autres diront que l’on ne fait pas sa justice soi-même mais ces autres-là ne soupçonnent pas ce que l’on peut ressentir quand on voit son si jeune voisin s’évanouir sous la douleur de son pied fracassé, ils ne peuvent pas savoir combien on peut être ravagé par la vision du sang qui se met à couler lentement de ses oreilles, ni combien on peut suffoquer devant l’accélération furieuse du cabriolet qui s’enfuit en faisant hurler le moteur. Ils n’entendent pas ces autres hurlements plus profonds qui nous réveillent en sursaut la nuit.
Si la loi ne comprend pas, moi je te comprends, sache même que je suis profondément touchée par ton altruisme et ta dignité. Cette ordure pensait s’en tirer à bon compte mais tu l’as retrouvé pour l’enfant, pour ce neveu que tu adores, pour ses parents effondrés, pour chacun d’entre nous qui ne pouvions oublier, et tu as fait ce que chacun de nous fantasmait. Je n’exprime pas ma violence dans les actes, parce que je suis une femme je suppose, mais je t’avoue que j’aurais aimé être là quand tu as détruit les deux genoux de ce type pour lui cracher à la figure. Son procès est une maigre consolation pour Maxime qui est mutilé à jamais, quatre ans de prison pour un enfant qui s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment, pour une racaille ivre qui faisait du rodéo dans une voiture volée, c’est tout, ces quatre ans sont bien dérisoires et amers.
Ce que tu as fait m’inspire un grand respect.
Je voulais te le dire.
Adèle
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Adèle,
Je suis touché par ta lettre mais je ne suis pas sûr de mériter ton attention délicate. J’ai encore du mal à me tenir à distance des images de cet accident dont nous avons été témoins ensemble. Je crains que mon indignation soit moins romantique que ce que tu y vois. J’ai agi avec une rage que je ne me connaissais pas. Je dois me pardonner moi-même maintenant et revenir à la normale. Ce mois de prison est un mal nécessaire pour y arriver.
Bien affectueusement,
Raphaël
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Raphaël,
Merci de m’avoir répondu.
Je t’ai écrit avec sincérité alors qu’on se connaît peu et je t’avoue que j’avais peur que tu ne comprennes pas mon affection. Tu es un homme, ce pourrait être mal compris mais ta réponse me montre que je peux te parler en confiance.
Avoir de tes nouvelles m’a apaisée. Je me demande souvent comment ça se passe pour toi. D’une prison, on peut imaginer le pire.
Tu te juges durement, comme si tu t’infligeais toi-même un second procès, et j’aimerais te montrer que tu n’es pas aussi terrible que tu le dis. Tu es quelqu’un de bien. Je n’ai pas eu le temps de te le dire avant mais, puisque l’intimité d’une lettre peut me permettre de le faire, j’oserais t’écrire noir sur blanc que je suis fière de te connaître.
Une amie,
Adèle
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Chère Adèle,
N’imagine pas ce que les séries télévisées nous montrent de la vie en prison ! Je suis arrivé chargé de tout un tas de hantises moi-même mais sache que je ne suis pas avec les détenus de longue durée, que je ne côtoie pas de violeurs bodybuildés sous la douche ! Et je vais plutôt bien, autant que ça peut aller quand on met son cerveau sur off en compagnie des matons et qu’on gamberge le reste du temps dans une cellule de dix mètres carrés avec un zyva néandertalien qui te parle avec ses vingt mots de vocabulaire.
À l’inverse de toi, je pense à ce qui se passe au dehors, j’imagine que le quotidien est ce qu’il doit être, d’une grande banalité, une banalité qui m’émeut, où nos voisins tondent leurs pelouses et embaument de leurs encensoirs motorisés les jardins de l’odeur si capiteuse des tontes d’herbe fraîche. Je vois mon neveu Maxime qui prend de nouveau le petit car communal avec ses copains chaque matin. C’est tout simple et ça me rend heureux. Je vois ma grand-mère qui regarde les feux de l’amour en râlant parce que Matt a quitté Dana pour Pamela Sue après qu’elle a embrassé Colin un jour de dépit. Ou je t’imagine toi, corrigeant des rédactions le week end alors qu’il fait beau et que tout le monde sort profiter de la chaleur de ce mois de mai. Je me trompe ?
Parle-moi du dehors, il me manque.
Bises
Raphaël
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Bonjour Raphaël,
Merci de m’avoir rassurée. Tu ne peux pas savoir le bien que ça me fait. Je n’osais pas dire en effet ce qui me terrifiait.
Tu vas bien, passons sur l’adverbe de trop -plutôt bien ne suffit pas- tu vas bien et c’est tout ce qui compte pour moi. Je veux tellement te savoir heureux que le reste ne compte pas. Tu es une belle personne et l’idée que tu puisses souffrir m’affecte alors je te souhaite le meilleur et te vois solide, tourné vers l’avenir, prêt à construire le lendemain de ta sortie.
Tu pourras compter sur moi, tu le sais. Mets cette phrase au présent, je te considère comme un ami et je ne laisse pas tomber mes amis, jamais.
J’ai vu ta mère hier. Elle est passée chez toi relever le courrier, donner un coup d’aspirateur aussi et nous nous sommes croisées au moment où elle partait. Je suis contente de savoir que vous avez pu vous voir.
Je n’ai pas osé lui dire que je t’écris. Tu vas trouver ça égoïste mais j’ai envie de garder ça pour moi. T’écrire a quelque chose d’intime, d’exclusif, c’est un espace qui nous appartient hors du temps, que j’aime beaucoup et je ne doute pas que toi aussi tu apprécies autant que moi d’avoir cet échange rien qu’à nous. « A nous », ça fait un peu solennel dit comme ça, mais je l’assume, j’aime profiter de ces petits riens tout simples qui réchauffent l’âme.
Et tu as vu juste, j’ai fini dimanche soir de corriger ma montagne de copies… avant d’enchaîner sur une nouvelle série le lundi.
Affectueusement,
Adèle
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Chère Adèle,
Je n’ai pas grand-chose à te raconter car tu devines que je n’ai pas vraiment envie de décrire les joies de la vie carcérale cependant j’aime nos échanges.
Ton attention me touche profondément, elle m’est un soutien précieux, je n’ai pas l’habitude d’écrire autant, je veux dire aussi souvent, mais recevoir tes lettres me fait chaud au cœur alors je ne veux pas briser ce lien.
J’avais déjà envie de te connaître mieux avant et je m’aperçois avec étonnement que je te découvre plus vite en étant loin de toi.
A travers tes mots, je découvre d’autres traits de ta personnalité ou plutôt je commence à cerner davantage les qualités que j’avais entrevues.
J’aurais aimé égoïstement pouvoir te voir au parloir pour discuter avec toi de vive voix mais on n’accepte que les membres de la famille et ça a été tout un foin pour ma mère d’arriver à obtenir les papiers nécessaires.
Seras-tu encore là à ma sortie ?
Bises
Raphaël
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Salut Raphaël,
T’as d’autres questions comme ça en stock ? Je te rappelle que nous sommes voisins… J’aurais du mal à ne pas être là dans deux semaines. Rien que l’idée de savoir que je vais te revoir me fait arborer un large sourire. Je serai ravie de te retrouver et même, soyons fous, de te serrer dans mes bras à ton retour car j’ose te confier que tu me manques. Ce n’est peut-être pas convenu de le dire mais c’est la vérité et je n’aime pas mentir comme tu as pu t’en rendre compte.
Bien sûr, le fait que je ne puisse pas te voir, que tu sois enfermé, certainement jouent leur rôle dans ce sentiment de frustration exacerbé mais, je te le répète, tu me manques, je me fiche de savoir si ça se dit ou pas à un ami que l’on ne connait pas tant que ça, tu me manques, c’est comme ça et puis c’est tout.
Vivement que tu sois de nouveau là ! J’ai hâte.
Oui, oui, oui, je serai là pour toi.
Tendrement,
(enfin disons dans la limite du raisonnable car je suis une fille de bonne famille moi monsieur, je n’ai pas de casier judiciaire, pas de passif, même pas un petit par solidarité amicale, en dehors de celui de la salle des profs je veux dire, mais je me lâche complètement là, emportée par la joie de savoir que l’on va se voir à ton retour et si j’écris n’importe quoi, je m’en fous, je suis heureuse, c’est trop bon alors délire avec moi aussi si tu en as envie, je t’emmène dans mon trip.)
Adèle
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Ma chère Adèle,
Ta légèreté si incongrue dans cette période de ma vie m’est douce. J’accepte ta proposition de partager ton trip, avec plaisir. Bon, sur le papier c’est facile, dans la réalité, il faut un certain pouvoir d’abstraction tout de même pour oublier cet urinoir omniprésent tout maculé de tâches qui me rappelle que je dois payer ma dette dans une cellule. Ça casse l’ambiance. Ça reflète surtout mon impatience à sortir d’ici.
L’idée de me laisser emporter dans ton imagination m’a parlé. Je me suis évadé. Entends-moi bien, en imagination seulement, hélas, et je suis parti loin, très loin, avec toi, dans des contrées où il fait bon vivre. C’était très doux. Ce n’est pas racontable mais nous avons passé disons un très bon moment ensemble. Merci !
Je t’embrasse
Raphaël
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Salut Raphaël,
Dis donc, tu m’as fait faire quoi dans ton escapade ? J’ai peur de comprendre.
Je t’embrasse ???
Adèle
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Mon Adèle,
Je crois que tu as compris ce qu’il y avait à comprendre.
Donc…
Je t’embrasse tendrement
et te laisse imaginer le reste.
Raphaël
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Mon charmeur,
Mouais, ben, euh… Un peu de tenue tout de même ! Puis-je disposer de mon corps, et de mon esprit de surcroit, comme je l’entends ?
C’est traître ce que tu fais, tu ouvres la porte à un imaginaire qu’il m’est bien difficile de discipliner maintenant. On ne t’a jamais dit qu’il ne fallait pas jouer avec les grenades ?
Alors, comment dire ? Restons sobre… Enfin essayons. Ma tête est encore sur les épaules mais ça ne saurait durer.
Je t’attends avec impatience.
C’est tout ce que je me permettrai décrire car ça va vite devenir une toute autre littérature si je poursuis le fil de mes pensées.
Je « tu sais quoi »…
Adèle
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Ma douce Adèle
Dernier courrier avant mon départ.
Dans deux jours, à 15h00, je serai chez moi.
Et toi ?
Je t’embrasse-rai.
Raphaël