La petite voix

(Temps de lecture: 2 mn)

Je suis devant la flaque d’eau. On ne voit que ça sur le macadam. Énoooorme. Que dis-je ? Énorme ma flaque, c’est une mare, c’est un lagon, c’est un océan qui s’étend à perte de vue, avec de la vraie gadoue couleur caca boudin bien cracra maculant le trottoir, conçue pour une jolie paire de bottes en caoutchouc. J’en ai pas. Tant mieux ! Devant moi m’appelle dorénavant une joie pure, avec de l’interdit dedans, gentil et désobéissant, rien que pour moi. Du sur mesure. Une sensation douce ravive cette époque où je tenais blotti dans mes mains mon nin-nin, une frise de drap déchirée puant ma bave rassurante, tandis que le reste de mon corps, enfoncé dans le lit, se cachait des loups sous une armure-couverture, du moins tant que la lumière resterait allumée. Remettons en contexte, j’approche incessamment la cinquantaine pas négociable mais mon œil qui brille présentement de mille feux dit que j’en ai moins de cinq. « S’amuser », « rire », clament-ils en cet instant, le besoin est vital. « Faire l’andouille » aussi, un peu, dirait ma mère. On ne peut pas louvoyer avec les grands sages.

Dans cette distorsion temporelle, il me manque quelque chose, en toute puissance, si bien qu’il se fraie dans sa foulée un chemin direct vers toi. Toi… Dis, tu me fais la gueule ? Moi pas, tu sais ? Regarde, ma petite main timide cherche la tienne. Alors, tu vois bien qu’on est toujours amis ! Dis, tu n’as pas envie de sauter le pas ? Tu as peur de te salir ? Oublie le symbole, nous ne sommes pas devant le défi d’une vie, il s’agit de plaisir, d’écouter l’appel, pour soi, entre nous. Le sale, le cadre, les doutes et la mauvaise conscience, laisse ça aux adultes qui enfouissent qui ils sont. D’accord, si tu tiens absolument à le formuler ainsi, il s’agit de prendre son pied, mais pas comme tu l’entends, de le prendre pour bien viser car il est primordial de mettre les deux pieds dedans d’un coup, comme ça : « Floutch ! » Tu comprends, il faut que la gerbe éclabousse la rue. Les murs des maisons doivent être constellés de toute notre hauteur de gnomes. Il faut du panache dans le geste sinon autant t’abstenir, crois-moi. Crois en moi.

Cela te gêne qu’on nous voie ? Quoi, tu ne sais pas tirer la langue à ceux qui jugent ? Fastoche pourtant. Laissons-les se vexer de rester hors de notre épicycle, on s’en fiche. Nous, on est des enfants. Des rois. Nous avons tout pouvoir. J’ai envie d’unir notre rire duel.

Alors, tu la prends ma main ou pas ? Qu’est-ce que tu attends, un bristol ? On dirait que tu as un truc coincé en travers de la gorge, bon sang ! Dépêche-toi ou je te laisse sur place. Si tu blablates, tu vas t’empêtrer dans des précautions qui vont gâcher l’élan. Mets-moi ton mental d’adulte sur off avant de plaquer un double sens à tout. Je dis ce qui est, pas ce que tu y projettes.

— Je t’aime.
— Alors écoute ma petite voix et saute, mon pote. À trois, on y va !

 

Une réflexion sur « La petite voix »

  1. En écrivant sur ce sujet, je voulais plusieurs niveaux de lecture. Je ne pouvais pas me contenter de deux alors ça donne ce que ça donne. Au lecteur d’investir les lieux maintenant!

Laisser un commentaire