L’aube

N’ouvre pas, garde-moi tout contre toi. Au dehors, ce sont les meutes de ces autres qui rappellent que le temps impitoyable reprendra son cours, il y fait trop froid, je suis nue et je crois que je ne pourrais pas survivre dans un tel monde. Ici, n’est-ce pas mon amour, tout est doux, les parfums sont suaves, il n’y a pas de monstres ni d’horloges, il n’y a que nous animés par le diapason de notre respiration au rythme des baisers qui font oublier que nous sommes peut-être mortels nous aussi au fond.

Plus tard, oublions cela, il sera bien temps d’y revenir d’ici que le jour soit levé. Maintenant je suis tout et je ne suis rien, au creux de ta chaleur, je contemple dans tes yeux l’univers fascinant de mystères et je viens me perdre au plus profond de l’infini. Dans le velours des caresses, la force des étreintes ou le pouvoir des sentiments absolus, je ne sais plus qui je suis. Femme, je suis la femme. Enlacée, d’une main qui explore, je parcours les veines sinueuses de tes bras en effleurant les fleuves de la carte du Tendre où circule ton sang, promesse de fougue et de vie. Lovée dans la volupté, peau contre peau, je suis tout à la fois à toi, contre toi, pour toi, je ne suis qu’un, hors de mon corps et en mille lieux encore car mon âme s’aventure au-delà de toutes les frontières, libre, virevoltant comme un jeune ange les ailes déployées vers la lumière qui inspire notre amour.

Chut, ne bouge pas mon amour, ne dis rien sinon je n’entendrai plus les apaisants battements de ton cœur et alors le cri de la horde au dehors les couvrirait pour de bon par ses clameurs barbares et détruirait cet instant d’éternité qui n’appartient qu’à nous et ne saurait souffrir d’être taché.

Veille avec moi sur ce bien précieux, tuons s’il le faut ceux qui tenteront d’entrer, bientôt ils vont griffer la porte et s’acharner, combattons-les ensemble, leurs doutes sont acides, leurs regards parfois se troublent et dans leur viscosité apparaît alors la destruction, il en est même plus perfides que la mort et l’oubli qui font de leurs larmes des armes puissantes, bloquons-leur le passage, aimons-nous pour que de ce rayonnement rien ne puisse s’insinuer dans le sanctuaire intime de notre amour.

Il faudra fatalement sortir affronter la horde, je le sais mais je ne veux pas que cela soit, jamais, retardons ce moment s’il te plaît, je veux oublier cet avenir, le retarder le plus possible, je ne veux pas me priver de l’absolu dans un deuil provisoire qui ne cessera que quand tu enlèveras de nouveau tes vêtements pour me rejoindre, charnel, dans cet abandon où ne serons qu’un seul corps et ne saurons non plus penser. Embrassons-nous encore, il n’y a de vie qu’ici.

Dehors, il fait trop froid, la horde hurle à la mort, ses crocs sont acérés, elle cogne contre la porte, je ne veux pas voir ce monde prédateur qui tente d’entrer en vociférant, blottissons-nous, faisons-nous tout petits, peut-être qu’on ne nous trouvera pas, condamnons la porte. Ici tout est calme, le temps est suspendu, jette la clé à tout jamais !

Hélas, je sais que nous ne pouvons pas refuser d’être au monde, le temps déjà s’est infiltré et nous a débusqués, bientôt ce sera au tour de la horde de venir à nouveau s’engouffrer dans la brèche. Le voilà impatient qui nous demande implacablement pourquoi nous persistons à craindre d’irradier les ténèbres. Elles nous emporteraient si nous essayions de les fuir, nous prévient-il. Alors soit, prends ma main mon bien aimé et sortons, allons illuminer de notre harmonie le chaos, allons le défier lui et l’univers de l’ardeur de nos sentiments. Notre temple n’a plus nul besoin de portes, il se suffit de nous, que notre rayonnement éblouisse car nous sommes l’aube sans qui la vie ne serait pas.

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