« Ne lâche pas ma main, petit bout de femme, la vie est courte et je vais manquer de temps pour tout te dire. Je dois essayer avant de ne plus pouvoir le faire. Tes joues rebondies, tes si jolies lèvres boudeuses, tes petites mains graciles, ton enfance m’attendrissent. Combien j’aime tes câlins tendres quand tu t’accroches à mon cou chaque soir quand la nuit va nous séparer et je ne me lasse pas de ton rire franc qui secoue ta gorge et fait trembler tes poumons quand tu libères une cascade de joie parce que je fais l’idiot pour toi.
Tu es petite, ta candeur te protège aujourd’hui, mais laisse-moi te protéger aussi de tout mon amour. Les mots que j’ai à te transmettre aujourd’hui s’envoleront de ta mémoire cependant ils se promèneront dans l’insondable infini et chemineront à tes côtés, leur message sera inscrit en toi et tu les retrouveras en parcourant la vie.
Je sais bien ma puce que tu grandiras, tu seras femme, tu seras belle mais ne le croira pas, mon adorable petite fille, car je sais hélas que tu douteras de toi, comme chacun de nous a douté. Il en est ainsi.
Mais ne souffre pas, j’en aurais trop de peine, mon cœur est lourd déjà de connaître l’avenir qui va me séparer de toi, non, aime la vie au contraire, prends-la tout entière quand elle se donne à toi, savoure le vent, la chaleur, sois simple et insouciante mon enfant, cours, joue, ris, crie de joie, ne t’attarde pas dans des pensées sombres, elles t’éloigneraient de la vie.
Tous les possibles sont devant toi. Contemple-les, prolonge-les, ou bien crée-les, ils sont en toi, il te suffit de les défendre avec sincérité et ils se révéleront à toi. N’écoute pas ceux qui prétendront cela impossible et qui pourtant chercheront à s’en nourrir. Sois celle que tu veux être ma petite fille adorée et tu seras plus belle encore dans le rayonnement de celle qui s’accomplit.
Sois généreuse aussi, le don de soi est une grande vertu, aime les autres, aide-les, ils seront ta force. Donne sans compter comme tu m’as vu le faire. Ma mère était la bonté même, toujours entourée, aimée, elle m’a appris cela et je ne l’ai jamais vue seule ni triste. Toi tu es faite pour être entourée, pas pour te retirer du monde. Tu seras aimée aussi tendrement que ton cœur sera grand.
Sois fière aussi, ambitieuse et un peu folle, car il faut de l’audace pour imposer ses rêves intimes au monde qui ne sait pas comment on parvient à cet exploit.
Sois curieuse de tout, observe avant tout les qualités humaines et apprends à percevoir le meilleur en chacun, pour en jouir, car sans cette clairvoyance tu passerais à côté de grandes beautés. Sache voir cet éclat de perfection, aimante-le, réveille-le, révèle-le pour qu’il s’épanouisse pleinement et se donne en partage tout autour de toi.
Sois douce, ma petite boule brune, comme le sont tes cheveux, tu l’es déjà mon enfant et tu le seras plus encore quand tu seras amoureuse. S’il t’arrive de tomber, ne pleure pas la douleur de ta chute, relève-toi et avance sans crainte de ce qui ne sera désormais plus sur ta route. L’amour saura te montrer qui tu peux être quand tu irradies de toute ton âme. Offre ce que tu as de plus beau en toi. Ne redoute pas les griffures terribles de l’amour, accepte-les pour les affaiblir et si tu t’effondres, n’oublie pas que ce qui est en toi t’appartient. Ne te renie pas. Affirme-toi. Ce en quoi tu crois, tu peux le puiser à tout moment et même le reprendre ou bien, si la vie t’y contraint, le faire revivre auprès d’un autre avec tout autant de force mais toi, je sais que tu protègeras avec fougue ce que tu as de plus précieux et sauras aimer chaque jour avec la ferveur du premier. Cet amour-là ne fait qu’amplifier et approcher subtilement de l’absolu. Vis-le intensément.
Ne crains pas ta sensibilité. Tes larmes te tromperont peut-être. Tu accèderas à de très belles émotions, ce sont elles qui te porteront vers le bonheur. Vois, sens, vibre, aime, savoure, profite de toute la vie qui s’offre à toi, fais-en ce que tu veux, ne te bride pas, jamais. Ne laisse pas passer les chances que tu sens passer devant toi. Vois-les, prends-les, provoque-les, embellis-les de ta sensibilité. Sois vraie. Si tu as foi en elle, la vie te le rendra, je le sais et t’en fais la promesse.
Mais garde bien ta main dans la mienne en cet instant où je te transmets la vie, ma toute petite, ma chérie, serre-la fort, j’ai besoin de ton soutien pour te donner toute l’affection que j’ai en mon cœur. »
La petite l’avait écouté, elle avait été très sage, elle l’avait longuement regardé, l’avait admiré même et en serrant très fort la main de son père, elle s’était laissée charmer par la douceur mélodieuse que dégageaient ces belles phrases, il n’avait prononcé aucun mot pour lui dire tout cela, il l’avait seulement prise sur ses genoux puis avait laissé venir la vie les rejoindre dans leur intimité, c’est elle qui avait parlé dans le silence du monde, au creux de cet instant d’éternité, et les yeux de son père s’étaient alors mis à scintiller avec la fascinante intensité des étoiles qu’il avait trop vite rejointes.
Fille-père. Cela me touche. Infiniment. Tous ces mots non prononcés mais portés par le vent et les étoiles, j’aurais aimé avoir eu le temps, enfant, de les accueillir. Et aujourd’hui, ta plume me les porte… Merci.
C’est moi qui te remercie d’un tel retour. Je suis très émue à mon tour.
C’est très beau ! Elle a de la chance cette petite fille.
Merci de ton retour Céline.