La cage

Quand il verra la beauté sublime de son âme,
il cessera enfin de souffrir bêtement son humanité.


Loin tout au fond d’une cage il est un tigre qui n’a plus d’âge, si éprouvé qu’il ne voit pas que la grille est ouverte devant lui. Il veille en silence à l’écart du monde ambiant. Quelque chose situé au-delà de la raison lui fait peur mais personne ne doit apercevoir ses larmes intérieures.

Entre les barreaux, les étoiles ne sont pas moins belles au firmament ni dans son cœur.

Le jour, il refuse la nourriture que certains osent parfois lui apporter à demeure. Ses griffes et ses crocs suffisent à leur faire rebrousser chemin. Vont-ils comprendre enfin qu’il n’a plus faim ? Quelques opportuns prétendent l’approcher dans son refuge. Il les soupçonne par leur réconfort de vouloir faire de lui leur otage. Qu’on l’oublie ! Autant les bannir. Se souvenir fait souffrir et leur gentillesse lui rappelle celle qui a été longtemps sa maîtresse. Elle fut, il ne l’émerveillait plus. Ou elle n’a pas su lui expliquer. Ou bien il n’a pas compris. Qu’importe le motif, elle est partie.

Il tend l’oreille, il scrute l’horizon. En vain, à ses côtés, il n’y a rien.

C’est peut-être elle qui a ouvert avec l’espoir qu’il retrouverait sa superbe seul, face à ce qui le faisait lui avant elle. Il reste blotti un instant sur le souvenir d’eux et s’aperçoit, à se racornir ainsi, qu’il ne se souvient plus très bien de lui.

Sa cage est ce qui lui reste aujourd’hui. Au dehors on rit, peut-être de lui. Autour est l’ennemi. Il a subitement besoin d’oublier sa vie.

Sa tête se met à tourner. Il aurait dû accepter la nourriture. Non, le trouble est d’une autre nature. Trahi par ses garde-fous, il s’est laissé emporter par une émotion entrée en lui comme une trahison. Quoi, répondre à la tentation et se laisser vaincre encore ? Aussitôt un rugissement échappé des abimes profonds vient défendre puissamment sa fierté.

Sans conviction, il sort, le pas lourd et nonchalant, explore les alentours, serait presque intimidé de se trouver ici, puis hume l’air frais reconquis, s’en rassasie. Il apprécie tant l’odeur diffuse qui se fait l’écho de ses instincts qu’il est tenté soudain de planter vite ses crocs dans la chair humaine qu’il sent maintenant palpiter tout près, juste là, sous la tendre peau. Il fut un temps où il avait également pensé dévorer le cœur de la femme partie. Pas seulement… Ces nuits-là, il avait trop pensé. Il doit se détourner de telles idées s’il veut épargner un carnage. Civilisé au contact des humains, il sait désormais que penser est déjà assez pour blesser et torturer et il préfère s’affranchir de sa rage, protégé dans le retranchement privé de sa cage.

Là, il se rendort et se plaît à replonger dans les rêves pour donner à sa liberté d’autres atours qu’il va domestiquer à son tour. C’est ainsi qu’il s’évade depuis des mois, depuis toujours.

En cet instant, dans un calme apparent, il attend. Il reprend des forces, hébété au fond de n’avoir pas dévoré les proies qu’il a croisées quand elles se sont approchées avec l’envie palpable de le caresser. Il ne sera pas toujours aussi résigné. Il ne l’a jamais été. C’est bien là son malheur.

Un jour il sortira pour de bon. Un jour il bondira dehors, d’un élan souple et fort. Tout en chair et en puissance. Il lui faut du temps d’abord. Pour se rappeler qu’il est né libre. Qu’il n’y a pas si longtemps on admirait sa sauvagerie de velours, loin d’être abusé par ces intruses rayures de bagnard dont les mouvances captivent le regard de ceux qui les voient aussi traversées de ces rayons musculeux de soleil fauve qui obtient d’eux leur respect. Il se souviendra alors de cet ardent désir autour de lui d’attirer ses oblongs yeux jaunes capables d’interroger au plus profond de l’âme. Il reprendra conscience de sa nature indomptable, à ses idéaux si semblable. Avec une humble fierté, il se souviendra qu’il sait charmer. Il saura que ses rêves attendent son acceptation pour se révéler.

Et en voyant qu’elle n’est plus là, il s’apercevra que sa cage n’existe pas.

5 réflexions sur « La cage »

  1. Encore une belle aventure qui m’émerveille, le cœur triste un instant, ds l’attente d’elle !
    Voyant le texte se finir, j’ai senti une légère frustration par envie d’émotions fortes.
    Je n’avais pas lu la dernière phrase !

    Elle m’invite à me souvenir qu’à certains moments, j’ai pu éprouver cette sensation d’enfermement. Puis soudain, en puisant au fond de moi, allant trouver la confiance, la détermination et le courage, j’ai pu tourner le regard et y apercevoir la porte de la liberté. Comme une main tendue divine m’extirpant de ma petite condition humaine.
    …. hummm

    1. Ce témoignage riche de sincérité prouve que tu as en toi ce courage admirable qui fait défaut à cet animal triste perdu dans un temps qui ne lui offre plus de repères.
      Et toi, plus qu’un tigre, Marie, tu es une puissante guerrière féline qui n’a pas fini de me surprendre par ses audaces et sa force.
      Ne sois pas triste ni petite car la savane attend que tu la foules de ton noble pas de femelle guépard.

  2. Certes, ce qui est beau dans ton récit, aux descriptions très riches, c’est le fait de se sentir libéré(e) de ses chaînes et de découvrir in fine que tel geôlier n’est que le fruit de nos peurs, de nos doutes, de notre trop plein d’expérience invalidante ou d’un passé aliénant.
    Pour ma part, je ne me sens ni “guerrière”, ni “héroïque”: les rêves, leur exaltation et la plénitude de vie qu’ils supposent peinent à se définir, leurs contours et leur consistance à se dessiner, à se remplir ou à s’accomplir : je ne sais pas ce que signifie le mot “liberté” en général, c’est un mot subjectif qui fait écho ou pas à l’histoire de chacun(e) et qui mérite que l’on accepte ses doutes et ses angoisses propres, chacun(-e) à sa manière pour mieux les affronter.
    On peut remarquer qu’il est “assez souvent” question dans tes récits – racontés soit d’une manière ludique ou dramatique, selon le genre et le matériau littéraire que tu as choisis …..- de cet enjeu grave ou léger de parvenir à traverser ses propres ténèbres et d'”aller jusqu’au bout de ses rêves”, d’en prendre conscience et d’œuvrer à leur réalisation, de déjouer les faux semblants, de conjurer les entraves qui empêchent l’incarnation de ces dits-rêves: beau programme, certes, mais qui peut lasser à la longue, tant qu’il reste voilé, obscur, lourd d’incertitudes et de contradictions! Mais cela, de fait, appartient à chacun(e) ………..

    1. Voilà ce qui me vient à l’esprit en te lisant, je te le livre sans discours:
      un jour de trouble profond, une femme bascula dans le vide, avalée par l’abîme avant de découvrir ses ailes. Non, elle ne resterait pas en cet endroit honni. Hébétée d’abord, elle apprit à les déployer et, grisée de vie, elle s’envola pour sans tarder réaliser ses rêves.

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