Terminus

— Attention, ce texte est brut, sans concession, à l’image du sujet abordé. —

(Temps de lecture: 4 mn)

Claire vit aujourd’hui dans une enveloppe charnelle qu’elle ne peut plus supporter mais elle vit encore et pour l’instant, il va falloir s’en contenter.

Que peut-on dire dans ces cas-là ? Que peut-on faire ? L’entourer d’amour, je n’y arrive plus. Il est trop tard pour la serrer contre moi et lui dire qu’il ne lui arrivera rien. Ça me donne envie de vomir. Et de tuer ceux qui l’ont mise dans cet état.

Je voudrais remonter le temps, fuir l’insoutenable, pour revenir à il y a quelques jours, quand nous étions tous les deux dans notre paradis. L’utopie est si cinglante que je me sens encore plus mal. Je peux seulement accompagner les ravages. Et cela m’anéantit. Alors, comme un con, je la regarde contempler le vide sans savoir rien faire.

Devant moi, Claire ne pleure pas, elle ne parle pas. Le temps passe sans nous.

Claire s’est juste retrouvée au mauvais endroit, au mauvais moment. C’est tombé sur elle. Je ne pourrai rien y changer. Elle pourrait être morte aussi à cette heure, je sais. Elle ne l’est pas et ne sait plus, elle, si c’est une bonne chose.

 

***

Le wagon de la ligne D s’était vidé après Moulin Galant. Il fut envahi à la station suivante par trois jeunes qui l’ont calculée aussitôt. Un rictus de connivence fut leur phase d’approche. Dans sa rangée, Claire s’était raidie, incapable de poursuivre la lecture du roman sur lequel ses mains s’étaient crispées. Un sale pressentiment. Une certitude. Elle les vit en effet s’approcher et s’asseoir autour d’elle. La suite était évidente.

Cependant ils prirent un malin plaisir à se faire attendre en un silence sépulcral. Se collant à elle, devenue moite de peur, ils la soumirent d’abord du regard. Son calvaire était tout tracé, les explications superflues, ils savouraient de voir qu’elle avait pris conscience de son karma. Une marionnette face à trois gars de la cité.

Elle sortit son portable pour tenter au moins de leur rendre les lendemains plus compliqués à gérer. Alors ça commença. Elle n’eut pas le temps d’appeler qui que ce soit.

Ce qui suivit fut exactement ce qu’elle avait visualisé quand elle avait compris leurs intentions, geste pour geste, coup pour coup, aussi sordide et terrible que l’enfer peut le devenir quand il vous a désignée comme son jouet de prédilection.

Celui qui s’était assis face à elle plongea ses deux mains vers ses cuisses pour lui écarter les jambes. C’était comme s’il lui avait arraché ses vêtements. Elle essaya de se relever même si elle n’avait aucune chance de leur échapper et le black qui était venu déborder sur le siège à côté d’elle vint tendre son bras adipeux pour la plaquer sur son dossier, lui envoyant les effluves de son aisselle dans les narines.

Elle était à eux et ils se chargeraient de le lui rappeler tout au long de son martyre.

Son corps venait d’entrer dans la catégorie des objets, une chose que l’on peut rouer de coups ou faire crier à loisir, comme ça, parce que ça défoule, qu’elle avait une belle voix de victime et que ça faisait surtout puissamment bander de l’humilier sans qu’elle fût capable de leur opposer sa résistance.

Le gros black se mit soudain à lécher sa joue pour voir comment elle réagissait. Ça fit marrer ses potes.

Elle ne bougea pas cette fois. Peut-être aurait-elle dû essayer ?

Puis le troisième se dessapa. Bruit du zip de la fermeture éclair. Image du sexe turgescent. Une gifle pour être sûr qu’elle regarde là où il fallait. Des mains qui l’agrippent. Ses poignets étranglés, remparts dérisoires, vite matés. La chute à même le couloir de la rame. Ses jambes qu’on écarte et qu’on entrave. Le poids du gars qui lui écrase les seins. L’entrée en force du sexe dans son vagin, dans une brutalité qui, malgré la violence de la pénétration, la coupa étrangement de son corps.

Pas pour longtemps.

Les coups qu’on lui asséna la forcèrent à donner aux trois hommes ce qu’ils attendaient d’elle : elle hurla de douleur et les supplia au nom de concepts qui leur échappaient totalement, avant de s’enfermer à nouveau dans le mutisme.

Son corps et son esprit ne lui répondaient plus.

Le deuxième décida de la retourner. Il avait envie qu’elle souffre davantage. Il voulait qu’elle saigne. Qu’elle réagisse cette pute ! En état de sidération, Claire ne répondit pas comme il l’entendait. Sale pétasse ! Il se finit quand même.

À son tour, le gros prit sa place. Il lui donna la leçon qu’elle méritait. Il la déchira en s’appliquant à y mettre toute la sauvagerie dont il était capable. Moins agile que les autres, il dut la plier pour qu’elle prenne appui sur l’assise d’un des sièges, fit couler avec jubilation le sang qui lui lubrifia le passage et fracassa aussi ses reins au cours de ses lourds va-et-vient.

Ils avaient tous éjaculé. Ils étaient satisfaits de l’obéissance de la meuf. Obéissance ?

Ils quittèrent enfin la rame quelques stations avant le terminus en lui disant qu’elle était bonne.

Le corps qui gisait au sol dans une flaque sanguinolente resta inerte un long moment. Mue enfin par un antique instinct de survie, Claire recroquevilla son corps contusionné comme elle put. Ce fut un agent de service qui appela le SAMU en la découvrant prostrée derrière une rangée. L’équipe de nuit l’évacua, blasée. Une pauvre fille de plus.

Le lendemain, dans le wagon, il ne restait aucune trace de son drame. Claire avait refusé de porter plainte, elle ne voulait pas, jamais, avoir à raconter ce qui s’était passé. Elle avait demandé qu’on l’oublie, on classa donc son dossier.

Quand la ligne D reprit son cours, les premiers usagers ne perçurent rien d’inhabituel. Juste, peut-être, comme une odeur de sang. Puis ils oublièrent cette désagréable sensation en se plongeant dans la conversation de leurs téléphones. Ils oublièrent très vite.

 


NDA: Texte proposé pour le concours “Court et noir” été 2018 sur le site Short édition avec la contrainte de placer l’expression : « comme une odeur de sang » dans une nouvelle de 8000 signes maximum. On nous incitait à faire frémir…

 

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